Dans la matinée du mercredi, 21 août 2019, des coups de feu ont été continuellement tirés dans plusieurs quartiers de Bamenda, le chef-lieu de la région du Nord-Ouest, dans ce qui est présenté comme un affrontement entre les forces de sécurité et des miliciens pro-sécessionnistes. Des images d’hommes sans cagoules, munis de bâtons et d’armes traditionnelles, intimant l’ordre aux populations de retourner dans les domiciles, ont fait la tour de la toile. Ils n’hésitaient pas être violents lorsque leurs interlocuteurs étaient lents à réagir. Kiosques détruits, routes barrées, marchandises saccagées…
Les entreprises et commerces ont aussitôt fermés. C’était leur méthode pour exiger la libération des leaders sécessionnistes anglophones, Sisuku Ayuk Tabe et les siens, qui venaient la veille d’être condamnés à perpétuité par le tribunal militaire de Yaoundé. Des mouvements de même nature ont été signalés dans plusieurs localités du Sud-Ouest. Tout en se défendant de sympathie sécessionniste, des partis politiques, notamment le Sdf et le Mrc, la société civile et des leaders d’opinion comme le Cardinal Christian Tumi, porteur de la Conférence générale anglophone, ont unanimement condamné le timing choisi pour rendre un verdict qui suscite la colère. « Ils ont mis en mission les ministres et hommes politiques sur le terrain pour énerver les populations après avoir constaté que les campagnes de la société civile en faveur de la rentrée scolaire portaient progressivement, et à moins de deux semaines de la rentrée scolaire, afin de s’assurer que les écoles restent fermées, ils condamnent à vie Sisuku Ayuk Tabe et compagnie », s’énerve Félix Agbor Bala, avocat et ancien leader de la plateforme mise en place par les grévistes d’octobre 2016. Depuis lors, l’exode a recommencé. Ce week-end, c’est par grappes que les peureux ont rejoint les agences de voyage encore fonctionnelles.
Ecole morte
La plupart des écoles sont fermées depuis deux ans. Et on doute qu’elles puissent ouvrir dans ces conditions. En mai dernier, réagissant à la mutilation d’Olivier Wountaï Voundou, alors enseignant du lycée de Nitob (Bamenda), dont la tête avait été retrouvée jetée dans un carrefour, un collectif de syndicats enseignants avait, à la suite d’un appel à la mobilisation pour les obsèques, demandé au Chef de l’Etat de prendre des mesures fortes pour permettre aux élèves ressortissants des régions en crise de retourner à l’école, en même temps que les autres jeunes Camerounais ce mois de septembre. Les responsables du Cameroon teachers’ trade union (Cattu), du Teachers association of Cameroon (Tac), du Battuc (enseignants de l’Eglise baptiste), du Peattuc (enseignants de l’Eglise presbytérienne), du Cewotu (enseignants du catholique) et du Syndicat national autonome des enseignants du secondaire (Snaes), rappelaient leur désolation
Ces leaders syndicaux appelaient à l’union sacrée de toutes les couches de la société, pour lutter contre « la terreur aveugle ».
Rentrée morte
Les choses ont-elles évolué ? Roger Kaffo Fokou, Secrétaire général du Snaes, l’unique syndicat d’extraction francophone ayant signé l’appel, assimile la situation actuelle à la marche sur du sable mouvant. « Plus on avance, plus on s’enfonce », regrette-t-il, en annonçant une réunion d’évaluation dans les prochains jours. Sans doute pour découvrir qu’il est impossible d’aller à l’école dans des localités où les autorités qui viennent parler de paix sont toujours escortées. Malgré les réunions préparatoires qui se multiplient et les commissions qui sont créées, cinq des sept départements du Nord-Ouest n’ont pas connu d’école au cours de l’année scolaire 2018/2019. Situation à peu près similaire dans le Sud-ouest.
Et ce ne sont pas des dons ponctuels à des villageois dont les proches se sont mis à l’abri hors des régions en crise, qui vont contraindre élèves et enseignants à rentrer. Beaucoup n’ont plus rien pour justifier la qualité d’élève, après l’incendie de leurs villages. La levée du couvre-feu en vigueur jusqu’en juin, par le Gouverneur de la région, n’a pas ramené la paix. Le portail des camerounais de Belgique. Face à la guérilla à multiples facettes qu’est devenue la crise anglophone (attaque d’écoles, incendie de services publics, enlèvements d’élèves et de responsables de collèges, décapitation d’un enseignant, attaques régulières contre les éléments des forces de l’ordre…), beaucoup de résidents du Nord Ouest ne croient pas au discours sur la paix. Les populations restent terrées chez elles, « le seul endroit où l’on peut espérer une petite sécurité ». Même là, certaines reçoivent des visites au cours desquelles on leur demande de fortes sommes d’argent.
Les voyages restent un projet risqué. Par leurs canons habituels, les sécessionnistes ont d’ores et déjà plombé le calendrier de la rentrée. Des villes mortes spéciales sont décrétées du 2 au 6 septembre, puis du 9 au 13 septembre, le week-end étant réservé à l’approvisionnement en vivres. Ils continuent d’accuser la francophonisation de leur système. Ce lundi, 26 août 2019, jour de rentrée administrative pour le secteur public de l’enseignement, l’on sera attentif aux dispositions ici et là prises pour la viabilisation des campus scolaires. Vendredi dernier, le reporter du Jour n’a pas pu le faire dans la ville de Bamenda. Lorsqu’on a une certaine carrure, il n’est plus aisé d’entrer dans un lycée dans le Nord-Ouest. « J’espère que tu as assez d’argent à donner aux miliciens qui vont te suivre », avait prévenu un confrère résidant dans le chef-lieu de cette région frondeuse, où un confrère a été enlevé la veille. Le calendrier de l’année scolaire prévoit que les enseignants reprennent le service le mercredi suivant, pour attendre les élèves le lundi 2 septembre 209, à 7h30. Entre tirs répétés et menaces verbales, il ne sera pas facile pour les enfants et leurs enseignants de passer.